Selon saint Luc

Selon saint Luc
Vitrail de Nonancourt

samedi 7 décembre 2013

Luc 9, 28-36 - Transfiguration


28 Il se passa environ huit jours après (qu'il eut dit) ces paroles, et, prenant avec lui Pierre, Jean et Jacques, il monta sur la montagne pour prier.
29 Pendant qu'il priait, l'aspect de son visage devint autre, et son vêtement d'un blanc éblouissant.
30 Et voilà que deux hommes conversaient avec lui : c'étaient Moïse et Élie, 
31 qui, apparaissant en gloire, parlaient de sa mort qu'il devait accomplir à Jérusalem.
32 Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil; mais, s'étant réveillés, ils virent sa gloire et les deux hommes qui se tenaient avec lui.
33 Or, comme ils se séparaient de lui, Pierre dit à Jésus : " Maître, il nous est bon d'être ici; faisons trois tentes : une pour vous, une pour Moïse et une pour Élie, " ne sachant pas ce qu'il disait.
34 Comme il disait cela, il se fit une nuée qui les couvrit de son ombre; et ils furent saisis de frayeur tandis qu'ils entraient dans la nuée.
35 Et de la nuée se fit entendre une voix qui disait : " Celui-ci est mon Fils élu : écoutez-le. "
36 Pendant que la voix parlait, Jésus se trouva seul Et ils gardèrent le silence, et ils ne racontèrent rien à personne, en ce temps-là, de ce qu'ils avaient vu.

5 commentaires:

  1. L’analyse des trois versions complémentaires de cet épisode va renforcer cet aperçu de l’enjeu de ce passage dans l’économie de la révélation du Christ.
    Ce texte fait partie d’un ensemble commun, facilement repérable dans l’ensemble des synoptiques (3 évangélistes), qui va de la déclaration de Pierre à Césarée à la guérison de l’épileptique (dont des interrogations sur la réalité du « suivre Jésus »). Il est donc au début d’une série de trois annonces de la Passion.
    La transfiguration est, chez Marc comme chez Luc, un élément de réponse a la question du : « Pour vous qui suis-je ? » qui a été posée à Césarée (cf. Mc 8, 27 / Lc 9, 18).
    Chez Marc toujours, on note une progression particulièrement fine qui vise la révélation progressive de la nature du Christ aux yeux de son lecteur. Elle part du baptême du Christ, et l’on peut même la déceler dans le texte de la multiplication des pains qui précède Césarée (cf. Lc 9, 18).
    Le plan commun aux trois versions peut se résumer dans quelques traits saillants communs à chaque évangéliste : a) l’approche (marche vers la montagne, constitution d’un groupe de disciples restreint), b) la transfiguration, c) l’apparition de Moïse et Élie (mais l’ordre diffère, en fonction de l’importance que confère chaque évangéliste aux deux prophètes), e) l’intervention de Pierre, f) l’apparition de la nuée, g) l’intervention de Dieu puis l’intervention de Jésus et le silence demandé… (qui n’est qu’implicite chez Luc).
    Si le schéma du récit est parallèle, il demeure des différences de contexte. Marc souligne l’effroi, Matthieu met une insistance plus forte sur la crainte théophanique alors que Luc insiste sur la prière préparatoire à la rencontre.
    De même, il existe des différences dans la manière de s’adresser à Jésus – en grec « kurie » (Seigneur – Mt) / « rabbi » (Mc) / « epistata (maître - Lc)» –, qui traduisent des contextes différents propres aux destinataires du récit.
    Si le silence n’est pas demandé par Jésus chez Luc, il reste implicite.
    L’analyse des principaux symboles utilisés dans le récit est également porteuse de sens. Selon certains commentateurs, l’allusion aux six jours renvoie à la fête des tentes. Le 7ème jour, on demeurait sous les tentes, on se revêtait de blanc et le Temple resplendissait de lumière, pour marquer la présence de Dieu, note Michel Hubaut(2). Cette interprétation est cependant rejetée par certains commentateurs comme Xavier Léon Dufour(3).
    Le lien le plus fort est probablement celui qui existe avec le texte du livre de Daniel (ch. 7) qui fait allusion à un fils de l’humain vêtu de blanc. Le terme grec est « leuxos » comme pour Mc 9, 3.
    L’allusion au foulon peut également renvoyer à Es 7,3, un texte(4) où l’annonce d’un fils est évoquée par le prophète(5).

    Notes :
    (1) Nous reprenons ici l’intégrale d’une étude déjà publiée par nous sur ce texte dans « Théophanies », in L’amphore et le fleuve
    (2) Michel Hubaut, La Transfiguration, Collection évangiles, Bayard, p. 18ss, mais aussi Benoît XVI, ibid. p. 333ss.
    (3) Etudes d’Évangile , p. 102
    (4) et aussi Es 36, 2 et 2 R 18, 7
    (5) Cf. Pierre Yves Brandt, L’identité de Jésus et l’identité de son disciple, Le récit de la transfiguration comme clef de lecture de l’évangile de Marc, p. 261

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  2. Suite :
    Le mot foulon est d’ailleurs un terme unique dans tout le Nouveau Testament(6).
    Le grec métémorphôthè (Il était transfiguré) – utilise un passif divin(7). C’est un terme peu courant et la voix passive du grec souligne que c’est Dieu qui est acteur. Ce changement n’est pas sans renvoyer à d’autres textes déjà mentionnés plus haut comme l’effet sur le visage de Moïse, devenu rayonnant après la rencontre avec Dieu (cf. Exode 34) ou le texte comparable d’Hénok.
    Il a aussi son pendant en grec, notamment dans l’hymne a Déméter ou dans un des récits de l’Odyssée où Ulysse apparaît brillant de lumière après sa rencontre avec la déesse.
    Il ne s’agit pas d’un miracle, mais bien d’un récit, que l’on peut qualifier de catéchétique.
    Le parallèle avec les théophanies dans l’Ancien Testament est plus poussé chez Matthieu. On retrouve en effet la même structure qu’en Exode 24 avec une délégation d’anciens qui se sépare du peuple, la montée sur une montagne, l’apparition divine réservée, un délai de 6 jours et des accompagnants désignés.
    On peut aussi retrouver certains traits d’Exode 33 (allusion à la tente, présence de la nuée, un dialogue privilégié, la demande de voir la gloire).
    Le récit qui suit dans Exode 34 est rappelé par le rayonnement du visage qui devient ici le corps entier du Christ avant l’annonce faite d’une filiation.
    Chez Daniel 10, le parallèle sera plus évident à travers l’allusion à la lumière, le visage brillant, le fait d’entendre la voix, la crainte, les disciples qui tombent face contre terre et la main qui vient toucher pour faire cesser la crainte…)
    Il s’agit donc de schémas classiques à d’autres théophanies, y compris avec Exode 3, mais la grande différence est que le Malak est absent ou que, d’une certaine manière, c’est Jésus qui a pris sa place.
    On retrouve aussi ce que l’on avait souligné sur les apparitions de la « gloire de la Shékinah » telles qu’évoquées dans le targum (y compris à propos de 1 R 19).
    Ces récits de la transfiguration feront l’objet de reprises dans le Nouveau Testament, notamment dans Jn 12, 28 (après une allusion aux 6 jours dans Jn 12,1), mais aussi dans la Deuxième lettre de Pierre (mais ce sera surtout pour appuyer la crédibilité de cet auteur du 2ème siècle qui s’inspire de l’apôtre)…


    (6) Les spécialistes appellent cela un hapax legomenon.
    (7) Cf. à ce sujet, W.H. Williams, The Transfiguration – A new approach, Berlin 1973 p. 640

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  3. Analyse synchronique
    La pointe du texte est ici la révélation de dieu… « Tu es mon Fils ». Tout s’oriente sur cela… La parole de Dieu fait ainsi résonner le Psaume 2 : « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui je t’ai engendré (2, 7) »…
    La différence entre les évangiles est cohérente avec leurs propres perspectives. Marc souligne la non-compréhension des disciples. Cela colle avec son projet théologique d’une théologie de la croix (« theologia crucis ») qui réserve la révélation finale à l’affirmation du Centurion (cf. plus loin) et notamment sur l’effet qu’il veut produire sur le lecteur. Il souligne le doute des disciples et cherche à identifier le lecteur avec le disciple moyen tout en lui donnant l’impression d’avoir un accès privilégié à une rencontre. Il y a ici, comme souvent chez Marc, une catéchèse de la foi en la résurrection à travers un bref aperçu de la gloire, souligné par blancheur du vêtement comme celle du jeune homme qui annoncera la résurrection (Mc 16, 5). On peut même dire qu’il y a ici substitution littéraire avec un pré-récit d’apparition. Chez Marc en effet, dans le texte que l’on considère comme originel, c’est-à-dire qui se termine en Mc 16, 8 par les paroles du jeune homme vêtu de blanc, la résurrection n’est qu’évoquée. Il fallait donc, plus que chez les autres évangélistes, un récit qui évoque la gloire.
    Chez Matthieu, le lien est plus marqué avec le schéma littéraire des théophanies. L’évangéliste va souligner la Primauté de Moïse, qu’il cite en premier, l’accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament.
    Le parallèle avec Daniel est plus visible, en particulier dans le « ils tombèrent face contre terre ».
    Enfin Luc va venir plus souligner le thème d’une rencontre plus spirituelle et plus mystique. Il insiste sur la prière de Jésus, comme nous l’avions souligné pour le baptême. Il introduit ici, plus distinctement une allusion à Gethsémani. La voix de Dieu vient le conforter dans sa marche vers Jérusalem et vers la mort, qu’il ne cesse d’annoncer à ses disciples.
    Si selon Bultmann, il s’agirait d’une légende(8), on doit souligner que le choix des trois disciples n’est pas fortuit. La présentation des disciples n’est pas celle d’un récit post-pascal… Ils apparaissent avec leurs inquiétudes et leur manque de foi.
    Commentaires 3 :
    Le texte  de la transfiguration est ainsi au confluent entre deux lectures différentes(9) : 
    a) celle de Paul qui insistera d’abord sur l’abaissement (la kénose) avant la gloire : « transfigure notre corps humilié pour le rendre semblable à son corps de gloire » (cf. Ph 3, 21) 
    b) et une vision plus glorieuse, typique de Jean qui insiste sur l’incarnation du Christ de gloire : « glorifie-moi pour que je te glorifie » même si Jean aura une relecture plus dépouillée de la transfiguration (cf. Jn 12).
    Ce texte aura des conséquences sur la perception des Pères de l’Église entre l’école alexandrine et l’école antiochienne.
    Soulignons par exemple que pour Procus de Constantinople : « le Christ s’est transfiguré pour nous donner à voir la future transfiguration de notre nature et sa seconde venue ».
    Mais en parallèle l’école antiochienne montrera l’importance du maintien de la tension entre la souffrance et la gloire, qui est propre d’ailleurs à tout le passage qui entoure ces récits chez les trois évangélistes…
    Cette tension aura sa progression jusqu’au concile de Chalcédoine, qui viendra affirmer que le Christ est vrai homme et vrai Dieu.
    (8) Rudolf Bultmann, Histoire de la tradition synoptique, Seuil, 1973, p. 317 
    (9) Cf. à ce sujet le développement de Ranier Cantalamessa, in Le Christ de la Transfiguration, p. 95ss

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  4. Contemplation :
    La beauté du Christ en gloire reste avant tout un sujet de contemplation. Pour Origène « tout croyant est invité à découvrir, au-delà des vêtements, c’est-à-dire la lettre des évangiles, la blancheur de sa divinité(11) ».
     « Il est le resplendissement de la gloire de Dieu, l’effigie de sa substance » He 1, 3. « Sur sa face est la gloire de Dieu » 2 Co 4, 6. Comme le soulignait Teilhard de Chardin, c’est « le plus beau mystère du christianisme »(12).
    Que cette image, qui préfigure celle du Christ glorieux, soit donnée au disciple pour les aider à percevoir le mystère de la mort et de la résurrection correspond bien à ce plan de la révélation que nous essayons de faire transparaître dans cette lecture transversale de l’Écriture. On peut faire écho à cette longue recherche de sens qui fera dire à saint Augustin dans ses Confessions : « Longtemps je t’ai cherché, beauté si ancienne et si nouvelle. Et voici que tu étais au-dedans, et moi au dehors(13) ».
    On comprend que Benoît XVI(14) puisse faire ici un parallèle entre le buisson ardent et le Christ. Il est lumière. Il rayonne, non pas comme Moïse d’une gloire extérieure, venant d’ailleurs, mais de sa propre gloire, ou plutôt, à travers lui, en lui, rayonne le feu de l’amour trinitaire.
    Cette tension doit rester pour nous un chemin de contemplation tout en maintenant la tension vers la mission d’amour… Et c’est l’écueil des trois tentes. Le risque est de s’arrêter dans cette contemplation du beau, de planter sa tente, et d’oublier le réel.
    L’apport de Luc est ici majeur. Cette vision est le fruit de la prière. Elle s’inscrit dans la tension et la dynamique de celle du jeudi saint, de la prière au mont des Oliviers et prépare à supporter l’agonie.
    « L’expérience de la transfiguration [comme pour Paul] devient alors le prototype de l’expérience mystique. Il a inauguré un jour ce qui demeure chaque jour la tâche du chrétien : laisser le mystère pascal irradier dans le présent de sa marche douloureuse, dès avant sa consommation dans la gloire(15). »

    (11) PG 13 1048-1085
    (12) Cité par Ranier Cantalamessa, Le Christ de la Transfiguration, p.17
    (13) Saint Augustin in Confessions X, 27
    (14) Cf. sa conclusion de Jésus de Nazareth
    (15) Xavier Léon-Dufour, Etudes d’Evangile, Seuil, 1965, p. 122

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  5. Pour aller plus loin :
    Saint Augustin, Sermon 79, 1 PL 38, 493
    Michel Hubaut, La Transfiguration, Collection évangiles, Bayard, ISBN 2-227-47240-5, 2003
    Xavier Léon-Dufour, Études d’Évangile, Seuil, 1965, p. 89ss
    Pierre Yves Brandt, L’identité de Jésus et l’identité de son disciple, Le récit de la transfiguration comme clef de lecture de l’évangile de Marc, Éditions universitaires de Fribourg, Suisse. ISBN 3-7278-1399-7
    Ranier Cantalamessa, Le Christ de la Transfiguration, Éditions Saint Augustin, 2000, ISBN 2-88011-224-9i

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