Selon saint Luc

Selon saint Luc
Vitrail de Nonancourt

samedi 4 janvier 2014

Luc 15, 11-32 – Le fils prodigue


11 Il dit encore : " Un homme avait deux fils.
12 Le plus jeune dit à son père : " Mon père, donne-moi la part de biens qui doit me revenir. " Et il leur partagea son avoir.
13 Peu de jours après, le plus jeune fils, ayant tout réalisé, partit pour un pays lointain, et il y dissipa son bien en menant une vie de prodigue.
14 Lorsqu'il eut tout dépensé, survint une grande famine dans ce pays, et il commença à sentir le besoin.
15 Et il alla se mettre au service d'un habitant de ce pays, qui l'envoya dans ses champs paître des porcs.
16 Et il eût bien voulu se remplir le ventre des caroubes que mangeaient les porcs, mais personne ne lui en donnait.
17 Alors, rentrant en lui-même, il dit : " Combien de mercenaires de mon père ont du pain en trop, et moi, ici, je meurs de faim ! "
18 Je me lèverai et j'irai à mon père, et je lui dirai : Mon père, j'ai péché contre le ciel et envers toi ;
19 je ne suis plus digne d'être appelé ton fils : traite-moi comme l'un de tes mercenaires. "
20 Et il se leva et alla vers son père .Comme il était encore loin, son père le vit ; et, touché de compassion, il courut, se jeta à son cou, et le couvrit de baisers.
21 Le fils lui dit : " Mon père, j'ai péché contre le ciel et envers toi ; je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. "
22 Mais le père dit à ses serviteurs : " Vite, apportez la plus belle robe et l'en revêtez ; mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds ;
23 et amenez le veau gras, tuez-le ; et mangeons, festoyons :
24 car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il a été retrouvé. " Et ils se mirent à festoyer.
25 Or son fils aîné était aux champs. Quand, à son retour, il approcha de la maison, il entendit de la musique et des chœurs.
26 Ayant appelé un des serviteurs, il s'enquit de ce que cela pouvait être.
27 L'autre lui dit : " Votre frère est arrivé, et votre père a tué le veau gras, parce qu'il l'a recouvré bien portant. "
28 Mais il se mit en colère, et il ne voulait pas entrer. Son père sortit pour l'en prier.
29 Et il répondit à son père : " Voilà tant d'années que je te sers, sans avoir jamais transgressé un ordre de toi, et jamais tu ne m'as donné, à moi, un chevreau pour festoyer avec mes amis.
30 Mais, quand est revenu ton fils que voilà, qui a dévoré ton avoir avec des courtisanes, tu as tué pour lui le veau gras ! "
31 Il lui dit : " Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi.
32 Mais il fallait festoyer et se réjouir, car ton frère que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il a été retrouvé. "


7 commentaires:

  1. Pour Benoît XVI (Jésus de Nazareth, tome 1, p. 216) , la parabole diffère de l’allégorie : La parabole « met à la portée de ceux à qui il s’adresse une réalité qui jusque-là ne faisait pas partie de leur horizon. Il leur montre ainsi comment, dans une réalité appartenant à leur champ d’expérience, transparaît quelque chose qu’ils n’avaient pas perçu jusque-là. Par la parabole, il leur rend accessible une réalité très éloignée de leur pensée, si bien qu’elle est le pont qui leur permet d’atteindre cette réalité jusque-là inconnue(1) ». Cela conduit à un double mouvement : mettre à portée et mettre en mouvement l’auditeur. La Parabole l’invite, ajoute Benoît XVI « à s’abandonner lui-même à cette dynamique, à dépasser son propre horizon, à apprendre à connaître et à comprendre (...) ce qui implique une participation active de celui qui apprend, car on ne se contente pas de mettre une réalité à sa portée et l’accompagner ». Il nous montre Dieu, conclut-il. « Non pas un Dieu abstrait, mais le Dieu agissant qui entre dans nos vies et qui désire nous prendre par la main (...) Dieu est en chemin vers toi ».

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  2. Souvent, c'est la position du fils aîné qui suscite notre attention. Mais elle nous aide à percevoir la finesse du discours du père, à approcher la justice divine, qui est loin de la justice humaine…
    L’actualité du récit est prégnante. Le récit interpelle sur les jeux et les forces en présence… Souvent le rôle des frères, leurs places, la jalousie du frère aîné sont des lieux de prise de conscience de nos logiques humaines. Elles interpellent nos propres tendances à juger, à être jaloux, notre aptitude à être alternativement dans la peau de l’un comme de l’autre.
    C’est l’occasion de revisiter un schéma souvent évoqué(2) dans d’autres essais, celui des tours humaines. Il rejoint celui aperçu plus haut de la tour de Babel, celle de l’homme qui du haut de sa toute-puissance juge et condamne les autres.
    C’est la tour du frère aîné qui ne perçoit pas que tout ce qui est au Père est à lui (v. 31) et qui juge du haut de ses certitudes de pharisien fidèle. C’est aussi, d’une certaine manière, la tour du jeune fils, quand il refuse l’amour du père et dilapide ses dons. Ce n’est que lorsqu’il redescend de sa tour, quand il « enlève ses habits de fête » (cf. Ex 33) et qu’il découvre la faim et la souffrance qu’il consent à « rentrer en lui-même » (v. 17), et percevoir l’immensité du don reçu.
    C’est enfin le chemin de descente du Père, qui ne retient pas son rang de Père, mais court se jeter au cou du fils prodigue (v. 20).
    Au cœur de ces trois chemins se dresse une tente fragile, la tente de la rencontre et de la réconciliation, la tente du pardon et du silence où l’amour affleure le cœur des hommes.

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  3. La justice et l’amour de Dieu sortent de nos logiques humaines. Il faut relire le texte de l’ouvrier de la dernière heure (cf. Mat, 20, 16), pour comprendre que la justice du Père n’est pas une justice commune.
    Que voulait dire Jésus sur l'amour du Père en prenant cette parabole ? Dieu s’y manifeste comme pur amour. Il est tout d’abord don premier, comme nous l’évoquions à propos du jardin. Même si la réalité de ce don n’est pas perçue par le fils, ou mal interprétée, à l’image d’Adam, sous l’influence du serpent trompeur, le Père manifeste cependant sa miséricorde. Et cet amour est signe de sa maternité et sa paternité, comme l’évoquent les deux mains masculine et féminine du père telles que représentées dans le tableau de Rembrandt.
    Les dons du Père sont pleins de symboles forts. Pour les pères de l’Église(3), « La première robe symbolise la dignité perdue par Adam ; les serviteurs qui l'apportent sont les prédicateurs du pardon. L'anneau placé au doigt de la main, gage du Saint-Esprit, figure bien la participation à la grâce. Les chaussures aux pieds marquent la préparation à la prédication de l'Évangile par le détachement des biens de la terre. Le veau gras, c'est le Seigneur lui-même… ». Saint Augustin précise plus loin : « c'est (...) Notre-Seigneur Jésus-Christ, ainsi appelé à cause du sacrifice de son corps immaculé ; et parce qu'il est une victime si riche et si excellente, qu'elle suffit à la rédemption du monde entier ».
    De même, ils commentent(4) ainsi le don premier : « Le père, dit l'Évangile, leur partagea donc également son bien, c'est-à-dire la science du bien et du mal, source de richesses vraies et durables pour l'âme qui sait en faire un bon usage. En effet, la faculté de la raison que l'homme reçoit de Dieu en naissant est donnée également à tous ceux qui viennent au monde ; mais dans la suite, chacun se trouve avoir plus ou moins de cette faculté de la raison suivant le genre de vie qu'il adopte : l'un, en effet, regarde et conserve comme appartenant à son père, le patrimoine qu'il en a reçu, l'autre en use comme d'un bien qui lui appartient en propre et le dissipe dans tous les excès. Nous avons du reste dans la conduite de ce père une preuve démonstrative du libre arbitre, il ne retient pas le fils qui veut se séparer de lui pour ne point blesser son libre arbitre, il ne force point non plus l'aîné de quitter la maison paternelle, pour ne point paraître le premier auteur des malheurs qui suivraient cette séparation. Or, ce fils s'en va, non point en changeant de lieu, mais par l'éloignement de son cœur ».
    Saint Basile (de la préface des regl. develop) ajoute : « On peut distinguer trois degrés d'obéissance d'après leurs différents motifs. Ou bien nous nous éloignons du mal par la crainte des supplices, et nous sommes dans une disposition servile ; ou nous faisons ce qui nous est commandé exclusivement par le désir de la récompense, et nous ressemblons à des mercenaires ; ou enfin nous obéissons par amour pour le bien et pour celui qui nous a donné la loi, et nos dispositions sont celles d'un véritable fils. »
    La parabole devient hyperbole dans ces récits de Jésus. Et le texte conserve

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  4. 2.000 ans plus tard toute son acuité.
    Le texte nous interpelle sur notre propre capacité à pardonner et à demander le pardon, y compris dans nos vies et nos relations interpersonnelles, voire conjugale. À quel pardon sommes-nous appelés ? Peut-on pardonner l’impardonnable ? L'amour véritable, n’est-il pas celui du Père… ? Quel chemin prend-on pour arriver à la tente de la rencontre ? Quelle place laissons-nous au sacrement de réconciliation ? Et quelle image du Père avons-nous, quand nous descendons de nos tours pour revenir au Père ?
    Il n’y a pas ici de théophanie au sens d’une manifestation extraordinaire, mais la force de la parabole nous conduit peut-être plus loin encore que dans la manifestation explicite de Dieu et nous sommes là au cœur du déplacement qui est en train de s’opérer dans la communication entre Dieu et l’homme. L’explicite n’a peut-être plus sa place. La crainte n’est peut-être plus de mise. Et Marie, qui a ouvert notre méditation sur la réceptivité et le décentrement nécessaires à une acceptation de la révélation, nous conduit vers d’autres chemins, celui de la contemplation, dans le silence, de ce que la Parole veut
    nous dire.

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  5. Commentaire de Saint Ambroise :
    « Ce n'est pas sans raison que saint Luc nous a présenté à la suite trois paraboles [...] pour que, sollicités par ce triple remède, nous soignions nos blessures... Qui sont ce père, ce berger, cette femme? N'est-ce pas Dieu le Père, le Christ, l'Église ? Le Christ, qui a pris sur lui tes péchés, te porte en son corps ; l'Église te cherche ; le Père t'accueille. Comme un berger, il te rapporte ; comme une mère, elle te recherche ; comme un Père, il te revêt. D'abord la miséricorde, puis le secours, enfin la réconciliation. Chaque détail convient à chacun : le Rédempteur vient en aide, l'Église secourt, le Père réconcilie. La miséricorde de 1'œuvre divine est la même, mais la grâce varie selon nos mérites. [...] Réjouissons-nous donc de ce que cette brebis, qui s'était égarée en Adam, soit relevée dans le Christ. Les épaules du Christ, ce sont les bras de la croix : c'est là que j'ai déposé mes péchés, c'est sur le noble cou de ce gibet que j'ai reposé(5). »

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  6. Notes

    (1) Jésus de Nazareth, ibid p. 216
    (2) Cf. les chapitres consacrés au « dialogue des tours » dans Bonheur dans le Couple et Chemins d’humanité, chemins vers Dieu.
    (3) PG 2033 33
    (4) Saint Jean Chrysostome, in Homélie sur le père et ses deux fils
    (5) Commentaire sur l'évangile de Luc, 7, 207-209 (trad. Véricel, L'Évangile commenté, p. 261 ; cf SC 54, p. 87), source : Evangélium


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  7. Commentaire de Julienne de Norwich (1342-après 1416), recluse anglaise
    Se convertir et ne pas périr
    Le péché est le fouet le plus cinglant qui puisse frapper toute âme élue. Il brise chacun, homme ou femme, l’abaissant tellement à ses propres yeux qu’il croit ne plus mériter que de tomber en enfer, jusqu’au moment où, touché par le Saint Esprit, il est saisi de contrition et voit son amertume se changer en espérance dans la miséricorde divine. Alors ses blessures commencent à guérir et son âme à vivre, dès qu’il se tourne vers la vie de la sainte Église. Le Saint Esprit le conduit à la confession, pour y avouer de plein gré ses péchés, en toute nudité et franchise, avec une grande tristesse et la honte d’avoir souillé la belle image de Dieu. Il reçoit sa pénitence pour chaque péché de la part de son confesseur, ainsi qu’il est établi dans la sainte Église par l’enseignement du Saint Esprit. Et cette humilité plaît grandement à Dieu… Notre Seigneur nous garde avec un très grand soin, même quand nous nous croyons presque abandonnés, rejetés, à cause de nos péchés et voyons que nous l’avons mérité. L’humilité que nous acquérons par là nous relève bien haut aux yeux de Dieu. La grâce divine fait naître une si grande contrition, compassion et vraie soif de Dieu, que le pécheur, soudain délivré du péché et de la peine, est élevé jusqu’à la béatitude, à l’égal des grands saints.

    Julienne de Norwich (1342-après 1416), recluse anglaise, Révélations de l'amour divin, ch. 39, source Evangileauquotidien.org

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